jeudi 28 décembre 2017

POUR MEMOIRE : LIEUTENANT KATIA de Catherine Devilliers (Mots-clés : Russie, URSS, seconde guerre mondiale)

Livre de poche paru chez Presses Pocket en 1962, il en existe plusieurs éditions, mais cette couverture demeure la plus attractive. Le lieutenant Katia n'est autre que Catherine Devilliers dont le récit est autobiographique.



LIVRE : ADRIENNE BOLLAND par Madeleine Arnold-Tétard

 

 L'officier d'état-civil força le destin en donnant deux "l" au nom de famille d'Adrienne qui n'aurait dû n'en comporter qu'un.

Adrienne Bolland est connue comme le premier pilote à avoir traversé la Cordillère des Andes comme le rappelle le préfacier Michel Lacombe qui conduit les avions d’Air France ; il ajoute que les femmes continuent à être encore assez rares parmi les pilotes (elles représentent 8% de l’effectif à Air France). 



Madeleine Arnold-Tétard archiviste-documentaliste de la ville de Meulan avait été contactée en 1989 par un chef d’établissement d’un lycée professionnel de Poissy afin de retracer l’essentiel de la vie d’Adrienne Bolland qui devait donner son nom à ce lycée. Notons toutefois que notre personnage est né en 1895 à Arcueil-Cachan (la division entre Arcueil et Cachan date de 1922) dans le Val-de-Marne et non dans les Yvelines. Belge, son père était journaliste et écrivain et sa mère, française, comptait des ancêtres d’outre-quiévrain. Elle est orpheline à 14 ans. 

Elle suit une formation à l’école de pilotage Caudron située au Crotoy dans la baie de Somme et obtient son brevet de pilotage en janvier 1920. Quelques mois après, elle fait la traversée de la Manche en avion. En 1921, elle part d’Argentine à destination du Chili et on sait généralement qu’une femme spirite lui avait communiqué un chemin à prendre entre deux sommets des Andes. Parce qu’il est alors impensable qu’une femme soit embauchée comme pilote par une compagnie aérienne, durant l’Entre-deux-guerres elle court les rassemblements aériens durant lesquels elle exhibe ses capacités techniques. 

Adrienne Bolland en 1921


Durant la seconde guerre mondiale, installée dans le Loiret dans la propriété familiale, elle participe à des activités de résistance qui consistent à informer les Anglais en vue de destructions possibles. Ce fut le cas, en février 1942, avec le radar de Bruneval en Seine-Maritime cible d'un commando britannique. Sont détaillées les conditions de la disparition à la fin 1940 des aviateurs Henri Guillaumet (né à Bouy en Champagne) et Marcel Reine (originaire d’Aubervilliers) qui conduisaient Jean Chiappe en Syrie car ce dernier venait d’être nommé Haut-Commissaire au Levant. 

L’auteur consacre ensuite une partie d’un chapitre à présenter rapidement une demi-douzaine d’aviatrices de l’Europe occidentale et des USA des années 1920 et 1930. Adrienne Bolland est la marraine de la promotion 1951 des Infirmières pilotes secouristes de l’Air, ce qui permet d’évoquer la création de ce corps en 1934 et le rôle qu’elles jouèrent en particulier dans le rapatriement des déportés et lors de la guerre d’Indochine. Elle décède en 1975 à Paris. Une petite vingtaine de photographies sont proposées à la fin de cet ouvrage qui présente une très grande fluidité de lecture. 

ARNOLD-TETARD (Madeleine), Adrienne Bolland, Coëtquen éditions, Janze (Ille-et-Vilaine), 2017, 124 p. 12 euros.

Alain CHIRON

dimanche 3 décembre 2017

CINEMA-ROMAN : Le roman d’Ernest Pérochon autour de la vie des femmes à la campagne durant la première guerre mondiale et son adaptation au cinéma


Entre 2006 et 2009, les éditions Geste firent l’effort de rééditer toute l’œuvre d’Ernest Pérochon. Les trois tomes eurent un grand succès, si bien qu’aujourd’hui il ne reste plus de disponible que quelques exemplaires du second volume qui contient en particulier Les Creux-de-maisons et Le Chemin de plaine. Aussi, avec la sortie du film Les Gardiennes, sous le nom des éditions Métive (département de Geste), est réédité le roman Les Gardiennes, avec d’ailleurs en couverture l’affiche du film. 

Couverture du livre Les Gardiennes d'Ernest Pérochon

 
Ce sont des femmes à la campagne durant la première guerre mondiale que l’auteur nous évoque :

« Elle songeait aux jeunes hommes partis à la guerre. Après la victoire, quand ils renteraient au pays, ils ne manqueraient point de demander :

- Qu’avez-vous fait de tout ce que nous avions laissé ? Femmes ! êtes-vous restées bonnes gardiennes chez nous ? Avez-vous entretenu le feu de nos maisons aimées. »

Ernest Pérochon, après une crise cardiaque sur le front, rejoint Niort en janvier 1915 dans le service auxiliaire ; il observe les campagnes des Deux-Sèvres et en 1924 est publié, alors chez Plon, le roman qui nous intéresse. L’auteur montre comment femmes et enfants prennent le relais pour assurer la production agricole et répondre à la production du pain dans l’unique boulangerie du village restée en service. L’action dans la boulangerie s’inspire de faits authentiques qui se sont situés dans le sud-est du département et le village ressemble fort à un de ceux qui, à la limite des Deux-Sèvres et de la Vendée, appartiennent au Marais poitevin. Ces agricultrices sont également le vecteur de la première mécanisation des campagnes (les animaux de trait sont largement réquisitionnés), comme on peut le comprendre. En France on paya correctement les produits agricoles, il n’y eut donc pas de marché noir entre 1914 et 1918 comme en Allemagne et un encouragement à produire (alors qu’outre-Rhin les prix imposés étaient bien faibles, donc peu enclins à susciter un dépassement de ses forces). 

« Il y eut une belle hausse, ce printemps là [1917], sur toutes les denrées. Personne ne parla plus d’abandonner la culture ; les femmes les moins courageuses, les vieillards les plus fatigués se ressaisirent ; les champs qui étaient restés en friche furent bien vite ensemencés.

On fignola moins la besogne ; des procédés nouveaux et rapides furent employés. L’abondance d’argent facilita les choses, permit, par exemple, aux gros et moyens exploitants d’acheter des machines venues des pays étrangers. Malgré la rareté toujours plus grande de la main-d’œuvre virile, le travail se fit mieux que les années précédentes.

Il ne faut pas se hâter de dire que c’était le seul appât du gain qui relevait ainsi le courage des gens de la terre. Dans les âmes les plus humbles, il y avait le sentiment exaltant d’une victoire ; victoire pénible, lente, achetée au prix de peines obscures et incroyables, auxquelles, dans le désordre tragique de la guerre, on ne prêtait peut-être pas suffisamment attention. »

Contrairement à ce que certains ont pu écrire, il n’y a pas en plus dans ce roman une "amourette pour faire pleurer dans les chaumières". En fait, à travers la liaison entre un soldat en permission (responsable de la ferme avant-guerre) et Francine (une ancienne enfant de l'Assistance publique), c’est la question de la fidélité des femmes durant la Grande Guerre qui est posée. Le paradoxe est que Francine est victime de médisances alors que c’est une fille fidèle, mais il est vrai que son entrée dans la famille contrarie les projets de certains. Pendant ce temps d’autres villageoises puisent abondamment dans un ensemble composé en particulier d’hommes réfugiés de Belgique ou des départements occupés et de Français mobilisés dans les usines ou divers services (comme les hôpitaux). Cette question de la fidélité des femmes est d’ailleurs magnifiquement illustrée dans un des tous premiers dessins d’humour du Canard enchaîné signé par Lucien Laforge (qui travaillera ultérieurement pour L’Humanité et Le Libertaire). La scène présente un gros bourgeois âgé en compagnie d’une femme ; le lit est surmonté du portrait du mari absent en uniforme. En évaluant la résistance du lit conjugal,  la femme s’interroge en employant cette formule plus nettement appropriée au combattant sur le front : « Pourvu qu’il tienne ».

Dessin de Lucien Laforge

On a aussi le réservoir des Américains très présents dans cette région proche du port de La Rochelle où de nombreux bateaux américains arrivent chargés de sammies ou de marchandises. À ce propos, signalons que Rémy Porte dans son ouvrage Les États-Unis dans la Grande Guerre: Une approche française, cite un texte d’un journal de tranchées où les soldats américains (mieux payés que les poilus et résidant plusieurs mois à l’arrière pour une préparation à subir les dangers du front) sont clairement accusés de coucher avec les femmes des militaires français. Une des phrases du poème en question est : « Les amis de nos amies sont les sammies ». Le film développe plus largement les liens que les Américains entretiennent avec les villageois et on s’en doute avec les villageoises ; ce sont eux qui sont les uniques tombeurs des femmes françaises dans le scénario.

Le film Les Gardiennes sort officiellement le 6 décembre 2017 ; toutefois il a déjà largement été présenté dans de nombreux festivals en France et à l’étranger. Le plus proche géographiquement du lieu de l’action du roman fut celui du 8e festival international du film qui s’est déroulé du 16 au 22 octobre à La Roche-sur-Yon. Ce film de Xavier Beauvois  s’est fait car sa productrice Sylvie Pialat connaissait le roman éponyme d’Ernest Pérochon. Nathalie Baye est la mère du poilu qui gérait la ferme (avant août 1914) et sa fille Laura Smet est également son enfant dans le film. L’héroïne, la fille de l’Assistance publique, est incarnée par Iris Bry une actrice débutante qui doit à sa sensible interprétation de figurer parmi les tente-six noms en compétition pour le César du Meilleur Espoir.
La composition de la famille de référence est assez bouleversée entre le roman et le film, puisque le poilu en vedette se trouve doté de deux frères. Ceci a l’avantage de diversifier les destins des poilus que l’on suit vraiment : notre personnage principal revient légèrement mutilé physiquement et largement traumatisé psychiquement, un de ses frères est porté disparu alors que l’autre est fait prisonnier.

Les Gardiennes projet d'affiche non retenu

Le récit sur pellicule fait du disparu un maître d’école (ce qu’était Ernest Pérochon à la Belle Époque) et cela permet d’introduire un aspect totalement absent du roman, à savoir la mobilisation idéologique des enfants (stimulée dans le film par l’institutrice du village). Lors de la projection publique à laquelle j’ai assistée, cet aspect était perçu comme romancé alors que le poème vengeur et insultant vis-à-vis des "boches" était disons évaluable dans les quatre sur dix dans l’échelle des horreurs prêtés aux Allemands que l’on racontait aux enfants à l’école et dans l’importante presse pour les jeunes (n’oublions pas qu’ils ont reçu en particulier de plein fouet l’histoire des mains que des soldats du Reich aurait coupées à des enfants belges). 

Non seulement le travail des champs est bien reconstitué, avant et après l’aide d’engins motorisés (grâce au conseil de l’authentique paysan charentais qui joue l’oncle très âgé du poilu centre du récit) mais le spectateur découvre également le métier de charbonnier qu’assure l’héroïne après son renvoi de la ferme. D’après l’adresse vue sur une enveloppe, l’action a été située ici au sud de la Vienne ; en fait seule la ferme est se trouve là (à Journet précisément). Le tournage s’est fait pour l’essentiel, non loin de là, mais en Haute-Vienne et dans l’Indre. La gare est celle de Verneuil-sur-Vienne et la salle de classe reconstituée ainsi que les rues sont celles de Montrol-Sénard, un village qui se veut globalement un lieu de conservation de la vie rurale. On verra la bande-annonce du film ici :


Alain CHIRON

A lire :

PEROCHON (Ernest). Les Gardiennes, Métive, 2017, 344 p.

A voir :

Les Gardiennes, film français  de Xavier Beauvois, 2017, 134 minutes