dimanche 22 janvier 2017

SUJET : Attitudes engagées des femmes vivant en France et outre-quiévrain durant la Grande Guerre (Mots-clés : première guerre mondiale)

 
Pour ceux qui s’intéressent au rôle qu’eurent les femmes dans la première guerre mondiale, il faut bien distinguer les espaces culturels. Les régions envahies durablement appartiennent à deux ensembles celui majoritairement de culture slave orthodoxe et celui de culture catholique. Dans le premier ensemble, on relève un groupe composé de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro (évidemment dans leurs frontières d’avant août 1914) où la religion des popes est quasiment sans conteste et un pays la Russie qui voit occupé des régions lui appartenant fortement hétéroclites du point de vue religieux avec les trois composantes d’alors du christianisme. On y trouve des Russes orthodoxes, des Polonais et des Lituaniens catholiques et des Baltes protestants. Dans l’univers orthodoxe on trouve, de façon pas si exceptionnelle que cela, des femmes portant l’uniforme et combattant.
Les Anglaises, qui portent l’uniforme en nombre restreint et ne combattent pas, ne connaissent pas une partie de leur pays envahi. Nous allons voir à travers quelques communications de colloque et des ouvrages (plus ou moins récents) ce qu’on a pu écrire dans les vingt dernières années sur les femmes belges et françaises dans la Grande Guerre, ayant une action directe ou indirecte dans la machine de guerre. Nos références ne sont pas exhaustives, nous avons retenu des monographies et des actes de colloque sortis depuis moins de vingt ans. L’objectif est de fournir des pistes à ceux qui voudraient avoir une bibliographie de base d’ouvrages facilement disponibles à l’état neuf, d’occasion ou assez présents dans des bibliothèques. Nous allons suivre l’ordre chronologique de leur parution. 

Le titre dont nous allons parler en premier est le résultat de l’ensemble des articles parus durant l’été 1994 dans le journal Le Monde, ces articles paraissent deux ans après l’ouverture de l’Historial de Péronne (qui coédite le livre) et ces années 1990 sont marquées incontestablement par un intérêt du grand public pour la première guerre mondiale, le succès de certaines BD de Tardi en étant un des reflets. Dans 14-18 la très grande guerre il y a un article sur l’infirmière anglaise Édith Cavell qui a réussi à faire passer des soldats alliés (qui se cachaient en Belgique) au Pays-Bas et l’impact qu’eut sur l’opinion américaine son exécution. Édith Cavell vivait à Bruxelles depuis 1907, elle y avait séjourné déjà de 1890 à 1895 ; elle est donc une femme vivant en Belgique avant la déclaration de la guerre.


Le second texte dans l’ordre de lecture nous évoque les nuances dans la propagande que l’on peut trouver dans la lecture de Bécassine par rapport à d’autres héros d’histoires en images pour les enfants. On notera en particulier le fait qu’accompagnant un major anglais dans une mission de photographie aérienne, elle essuie les tirs des Allemands. Sur l’ensemble des quatre albums en rapport avec la Grande Guerre, on peut rajouterons-nous se faire une bonne idée des nouveaux métiers auxquels les femmes accèdent durant le conflit. Le troisième texte évoque la grève des midinettes au printemps 1917, à cette occasion certaines demandent la paix. 

En 2003 Christine Bard livre Les filles de Marainne : histoire des féminismes 1914-1940 et si un chapitre montre les femmes pleinement engagées dans l’Union sacrée, un autre intitulé "Dissidences pacifistes et contestations radicales" permet de croiser en particulier des institutrices syndicalistes dont Hélène Brion institutrice à Pantin et la savoyarde Lucie Colliard dont l’avocat est le député Paul Meunier (bientôt accusé d’avoir négocié secrètement avec les Allemands). Cette même année 2003 est publié un ouvrage collectif Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945). Un article signale à la page 69 que environ trois cent femmes françaises portèrent l’uniforme en tant que conductrice d’engins à moteur et à la page 71 qu’Émilienne Moreau de Loos avait combattu les Allemands les armes à la main (Le Petit Parisien et Le Miroir publient ses mémoires entre décembre 1915 et janvier 1916).


L’année suivante paraît 1914-1918 : combats de femmes, un ouvrage dirigé par Évelyne Morin-Rotureau qui traite des deux sujets précédents mais avec souvent des approches par d’autres personnalités comme ici Louise Bodin. De plus Annette Becker évoque "le sort des femmes pendant l’occupation allemande du nord de la France". En 2006 dans Paroles de paix en temps de guerre on relève une communication commise par Mona Siegel "Paroles féministes et pacifistes au temps de la Grande Guerre". Au passage elle rappelle qu’en France où la revendication des femmes de pouvoir voter existe à la Belle Époque, il leur est répondu que la citoyenneté pleine est à donner à ceux qui peuvent défendre leur pays. Le refus de voir une femme avec un fusil n’est donc pas seulement le fruit d’une culture catholique, il est aussi la réponse négative à une autre demande qui pointe. L’auteur montre que toutes les féministes n’évoluent pas vers le pacifisme et que celles qui le font avancent à des rythmes fortement différents ; d’ailleurs la plus médiatisée de l’époque Hélène Brion n’a pas été la plus véloce. Nous dirons personnellement que par la tenue de son procès et des réponses qu’elle y fit, elle inscrit son nom dans une page d’histoire du pacifisme et que cela lui valu une large place dans la BD Un long destin de sang (2 tomes sortis respectivement en 2010 et 2011). Mona Siegel ajoute que, dans l’Entre-deux-guerres, la puissance d’un mouvement comme la Ligue internationale des mères et éducatrices pour la paix est la résultante du combat des féministes pacifistes des deux dernières années de guerre. 

En 2008 Jean-Marc Binot propose Héroïnes de la Grande Guerre, cet ouvrage permet de mettre en exergue un certain nombre de personnalités. Ainsi alors qu’elles n’ont pas le droit de vote, Jeanne Macherez (veuve d’un député puis sénateur) non seulement dirige l’infirmerie de la ville de Soissons mais fait office de maire pour négocier avec les Allemands le temps qu’ils occupent la ville (du premier au douze septembre 1914). Elle y gagne le surnom de "la mairesse de Soissons", on en apprend largement plus sur Émilienne Moreau dans son aide aux Anglais reprenant la ville de Loos le 25 septembre 1915. Ce sont quatorze femmes belges ou françaises qui se côtoient souvent dans des missions de renseignements, de la plus prude à la plus courtisane puisque Marthe Richer (devenue Richard) y a sa place d’espionne avérée mais dont on doute de la réelle efficacité. Une mention spéciale est à porter pour le récit qui raconte dans le détail comment la paysanne normande Octavie Delacour ayant rencontré, dans le bois près de Gournay-en-Bray des soldats allemands infiltrés, va éviter (en prévenant les gendarmes locaux) que les premiers ne fassent sauter des ponts sur la Seine autour de Rouen. 

Les Femmes et la guerre de l’Antiquité à 1918 est un ouvrage qui reprend les communications données lors d’un colloque éponyme tenu à l’université d’Amiens en 2010. Les articles sont classés là par ordre chronologique. Ceci est l’occasion de revenir sur les Amazones, Jeanne d’Arc (et en particulier sur ce dont on l’accuse), les actes de résistance des femmes cathares, les engagements partisans de certaines épouses de chefs de parti au moment des guerres de religion (dont la duchesse de Montpensier et la princesse de Clèves). À diverses dates sont évoquées les rôles tenus par des femmes comme espionne, vivandière, infirmière … 

Six textes, soit un tiers de l’ensemble des communications, traitent de la période de la première guerre mondiale. Philippe Nivet aborde la place des femmes dans les zones occupées de la France ; ces départements sont de l’ordre de la dizaine de la Mer du Nord aux Vosges. Ceci est l’occasion de rappeler les émeutes de la faim et le rôle qui tinrent les femmes. En janvier 1917 par exemple dégénère la distribution de pommes de terre assez abimées à la population (page 277). Le passage sur les réseaux de résistance permettent de voir leur fonction dans le renseignement et la place tenue dans l’un d’entre eux par Louise de Bettignies et dans un autre cas quelles furent les actions d’Édith Cavell conjointement avec Louise Thuliez. Sont également évoquées les maîtresses françaises du Kronprinz lors de ses séjours dans les Ardennes et plus généralement les relations des femmes des régions occupées avec des soldats allemands. Ces liaisons soulèvent parfois des procès après-guerre ; ces actions devant la justice inspirent d’ailleurs des romanciers dans les Années folles. Ainsi Gabrielle Verlon, inquiétée pour intelligence avec l’ennemi dans l’Aisne, voit reprises ses actions au sein du réseau Toquet dans le livre La Gazette des Ardennes de Gustave le Rouge et Louis Chassereau paru chez Tallandier. Il y a ici une belle remise en perspective de la valeur morale de l’espionnage féminin aux yeux de certains Français contemporains de la Grande Guerre et de l’Entre-deux-guerres, ce qui est l’occasion de revenir sur Marthe Richard. Ceci est à mettre en parallèle avec le fait rapporté dans l’ouvrage consacré à Louise de Bettignies par Chantal Antier, que les milieux nationalistes tenaient à préciser durant les Années trente que dans le réseau de celle-ci, on ne couchait pas. 

Nadine–Josette Chaline s’interroge sur le rôle des religieuses dans la Grande Guerre et les déplacements des communautés vers l’intérieur du pays. On apprend que dans l’Allier trouvent refuge des carmélites françaises exilées depuis 1905 dans la province belge du Luxembourg, des carmélites de Meaux et des religieuses venues de Verdun. L’auteur rappelle l’importance des images pieuses qui circulent chez les poilus et en particulier celles concernant Sainte Thérèse de Lisieux. Deux autres textes tentent de montrer que l’absence du père pendant quatre ans s’est traduite par de nombreux conflits familiaux au retour, tant du point de vue d’une présence du père perçue par l’enfant comme accaparant la mère et le privant de l’affection maternelle que par la difficulté qu’ont à revivre ensemble mari et femme. Ce n’est pas cité ici mais Charles Trénet fut placé en pension très tôt car son père, à peine rentré au printemps 1919, s’avéra comme sa mère incapable de reprendre une vie conjugale harmonieuse. Comme nous l’avons écrit, il est sorti en 2013 chez Tallandier un livre qui retrace la vie de Louise de Bettignies. L’ouvrage retrace de façon complète la courte mais intense vie de cette Jeanne d’Arc au service des Anglais. Outre de nous faire savoir que celle-ci avait étudié en Angleterre, avait vécu en pays catholiques dans l’Europe centrale à la Belle Époque (Vienne, Bohême, Galicie et Bavière), l’ouvrage montre que cette Française n’avait aucune confiance dans l’efficacité du service d’espionnage de son pays et c’est pourquoi elle se mit au service ces Anglais.

Alain CHIRON

BIBLIOGRAPHIE

Historial de Péronne, 14-18 la très grande guerre, Le Monde, 1994
Christine Bard, Les filles de Marainne : histoire des féminismes 1914-1940, Fayard, 2003
Luc Capdevilla (et al.), Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), Payot, 2003.
Évelyne Morin-Motureau, 1914-1918 : combats de femmes : les femmes piliers de l’effort de guerre, Autrement, 2004
Mona Siegel "Paroles féministes et pacifistes au temps de la Grande Guerre" In Paroles de paix en temps de guerre, Privat, 2006
Jean-Marc Binot, Héroïnes de la Grande Guerre, Fayard, 2008
Marion Trévisi et Philippe Nivet, Les Femmes et la guerre de l’Antiquité à 1918, Economica, 2010
Chantal Antier, Louise de Bettignies, Tallandier, 2013

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