lundi 6 janvier 2014

Livre : Entretien avec MARYLINE MARTIN pour son roman LES DAMES DU CHEMIN (Mots-clés : Grande Guerre, infirmière, prostituée, ouvrière, tramways, Nénette et Rintintin)


Les Dames du chemin, heureux jeu de mot, plus chemin de traverse que simple chemin d'ailleurs, nous transporte au coeur même de la vie des Français de la Grande Guerre. Les femmes y accompagnent les hommes, les soldats surtout, pour un court ou un long trajet, parfois pour un bout de chemin. Ces femmes prennent des formes multiples, celles de l'être espéré, de l'être sacrifié, de l'être désiré, voire de l'être honni.
Simplement, au moyen de bouts de vies nous comprenons en quelques lignes, en quelques pages, le rôle moral, social et sentimental qu'elles jouèrent. Ces récits sont merveilleux, poignants, sensibles et surtout d'un réalisme déconcertant qui rend les personnages attachants et laisseraient penser que l'auteur a vécu à cette époque. Comme le dit Jean-Pierre Verney (conseiller du musée de la Grande Guerre du pays de Meaux) dans la préface, un livre "ni banal, ni rebattu" qui dévoile "qu'au-delà des personnages embarqués dans le tumulte et les violences de cette Grande mais épouvantable guerre, il y avait autre chose." La vie ?



Bonjour Maryline Martin, pourquoi ce livre ?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai souvent entendu racontée par ma famille l’histoire d’Abel François Victorien Marchand mort à Verdun. Ce grand-oncle était le frère de ma grand-mère et de sa sœur née en 1919 et qui portait le prénom féminisé de ce frère, ce héros mort au combat…

En plus d’un cadre et des médailles militaires, j’ai hérité de ce devoir de mémoire qui est une partie de moi-même. Je pense que pour savoir où l’on va, il faut comprendre d’où l’on vient…
Grâce à Internet, j’ai pu entamer des recherches et trouver la fiche militaire de mon grand-oncle qui non seulement n’avait pas été tué à Verdun mais reposait dans un cimetière militaire sous une tombe individuelle à Cerny en Laonnois, non loin du Chemin des Dames… Abel François Victorien Marchand est parti en avril 1915 rejoindre son régiment et a été fauché à vingt-ans lors de l’offensive Nivelle le 16 avril 1917.



En déroulant le fil de notre histoire familiale, je suis rentrée dans la grande Histoire et j’ai ressenti le besoin, et sous un prisme différent (l’écriture de nouvelles), de lui rendre hommage ainsi qu’à tous ces camarades…

Vous abordez la place et la vie des femmes au travers des hommes ? Pourquoi ?

En me documentant sur le sujet, j’ai fait le constat que les femmes ont tenu un rôle important dans la Grande Guerre. Si elles ont été en priorité les gardiennes du foyer, elles devaient faire face à la pénurie d’hommes et redynamiser la machine de guerre à l’arrière.
En 1914, le président du Conseil, René Viviani, leur lance un vibrant appel en leur demandant de remplacer sur le champ du travail les maris partis au champ de bataille et une année plus tard, Joffre leur conjure de ne pas s’arrêter de travailler dans les usines, car selon lui, les alliés perdraient la guerre ! Les femmes connaissaient la double peine : rester à leur place tout en continuant à faire tourner le pays…

Qui sont les héros de ce livre les femmes ou les hommes ?

Je n’aborde pas ce recueil de nouvelles de façon linéaire. J’ai beaucoup travaillé sur la psychologie des personnages. Je rends hommage au courage de toutes ces femmes qui ont dû soutenir le moral des hommes parfois au péril, elles aussi, de leur propre vie. Je pense aux femmes du Nord de la France qui ont subi des exactions (viols, déportations), aux infirmières frappées elles aussi à l’arrière, aux prostituées réquisitionnées par les généraux parce qu’elles n’amollissaient pas le cœur du soldat…Ces ouvrières, paysannes, infirmières, espionnes ou prostituées je les accompagnées tout au long de ces destins de papier et elles ont rencontré des tirailleurs sénégalais, des mutins, des embusqués et des soldats prisonniers de leurs contradictions les plus intimes…Si ces poilues de l’arrière ont bravement tenu leur rôle, la chambre bleu horizon veillera au lendemain de la guerre à ce qu’elles rentrent sagement à la maison. Toutefois, le gouvernement ne peut lutter contre une certaine liberté de conscience et certains codes sociaux vont exploser : ce sont les Années Folles.

Nombre de ces destins sont tragiques.

La guerre par essence n’est pas jolie même si elle a révélé des moments de fraternité dans les tranchées, un esprit de corps et d’âmes…Je n’ai rien voulu édulcorer. Si les soldats étaient persuadés de revenir pour les vendanges ou à la Noël, ils ne sont pas partis la fleur au fusil. Le Figaro du 2 août 1914 observe : « Le bruit de la rue n’est plus qu’un grand murmure. On se croirait à un jour de fête populaire où tout le monde se tairait… »
La guerre a duré 52 mois, elle a bouleversé les rapports hommes-femmes, fait exploser des vies, des couples en devenir, cette résultante n’est guère joyeuse. Cependant, les retours de mes lecteurs-trices montrent que la vie et l’espérance sont également présents entre ces pages…

Cerny en Laonnois, tombe d'Abel Marchand (photo Maryline Martin)



A la lecture nous avons l'impression que vous-avez vécu cette époque : l'argot des poilus, le phraser tout y est.

On ne peut écrire de façon mécanique sur ce sujet. L’empathie je l’ai ressentie très tôt lorsqu’adolescente, je lisais un à un, sur les monuments aux morts, les noms des Morts pour la France, tombés au Champ d’Honneur J’imaginais l’attente et la souffrance de ces famille. La réponse au silence, ce fameux pli bleu porté par le maire ou son adjoint mettait un point fatal sur le i du mot fin. Avec l’attente, l’espoir était encore tenace …Comme l’écrit Maurice Duneton dans son roman vrai « Le Monument » : « (…) certaines familles se sont vidées de leur surgeons, au point qu’elles se sont éteintes dans l’aventure. Elles ont disparu sans laisser de trace… ». Je n’ai pas de passion pour la guerre mais j’aime l’époque qui succède à ce que l’on nommait la Belle Epoque… On entre dans le XXème siècle dans un déluge de feu et d’acier mais aussi qui verra les progrès de la médecine et de la chirurgie…
Je me suis documentée pour trouver le mot juste. On ne parlait pas en 1914 comme aujourd’hui même si l’argot des tranchées a perduré dans notre langage courant. Il était important que le lecteur soit dès les premières pages happé par ces destins et que de manière didactique il puisse être plongé dans le quotidien de l’arrière comme au front.


Comment avez-vous choisi ces femmes, pourquoi celles-là ?

Je n’ai pas choisi ces femmes, elles se sont naturellement imposées lors de mon travail d’écriture. Effectivement, lorsque l’on évoque la Grande Guerre, reviennent en boucle les paysannes dans les champs, l’infirmière accorte longuement décrite comme l’ange blanc mais aussi la munitionnette qui tourne des obus dans les usines. Par ailleurs, je me suis attachée aussi à celles dont on parle peu les exilées, les prostituées mais aussi les agents doubles…
Dans la nouvelle « Nénette et Rintintin », j’ai une tendresse particulière pour cette petite fille qui, décrit dans son journal les jeux de guerre de ses camarades de la rue Greneta pris en photo par Léon Gimpel. Je parle aussi de cette petite Denise Cartier victime du premier bombardement parisien. Il était important pour moi de tisser du lien entre la Grande et la petite Histoire…
J’ai appris dernièrement et pour mon plus grand plaisir, je l’avoue, que cette nouvelle était étudiée en classe…

Comment vous êtes vous documentée ? Vous citez Louis-Ferdinand Céline… Un auteur que vous aimez ?

Dans mon travail d’écriture, ce qui m’importe est non seulement d’aborder la psychologie de mes personnages mais le décor dans lequel ils évoluent est primordial. Je suis avant tout lectrice, j’imagine que les détails sont tout aussi importants, il faut que la part d’imaginaire prenne le relais sur le pouvoir des mots. Ainsi, j’ai privilégié des lectures comme le Carnet de la Ménagère pour m’approprier le quotidien de cette mère de famille, qui en vient à piler des marrons d’Inde pour obtenir de la lessive. Les témoignages d’Henri Barbusse, de Roland Dorgelès mais aussi de Georges Duhamel, Paul Valéry, Léon Frapié m’ont beaucoup aidés. Quand j’évoque les soldats victimes de l’obusite, je me suis attachée à être au plus près de cette pathologie longuement controversée puisque ces derniers étaient considérés comme des simulateurs…J’ai en mémoire le très beau film de Gabriel Le Bomin, « Les fragments d’Antonin » et l’essai de Jean-Yves Le Naour « Les Soldats de la Honte ». Quant au cuirassier Louis Ferdinand Destouches plus connu sous le pseudonyme de Céline, il nous a offert avec « Voyage au bout de la nuit » un roman fort et même s'il a longtemps écrit qu’il s’arrangeait avec ses souvenirs en trichant avec ce qu’il faut , le fantôme de Bardamu est omniprésent dans l’une de mes nouvelles…

Je ne suis pas historienne mais j’ai trop de respect pour le sujet et ce livre m’a demandé quatre années de travail. J’ai effectivement beaucoup lu mais j’ai eu aussi la chance de pouvoir écouter des cassettes mixées sur Cd avec des témoignages de Poilus, dont l’un très émouvant puisqu’il émanait d’un soldat ayant appartenu au même régiment et à la même compagnie que mon grand-oncle…
Les textes de Paul Verlet, Eugène Bizeau mis en musique par le groupe Tichot mais aussi les gymnopédies d’Erick Satie, et les textes engagés de Dominique Grange ont nourri mon écriture.

Si je dis souvent que j’ai lu jusqu’en avoir la nausée ce n’est rien par comparaison à ce que les soldats ont pu ressentir au plus profond d’eux-mêmes. Mais par respect pour Eux, il ne pouvait en être autrement…

Maryline Martin et Jean-Pierre Verney


Un dernier mot ?

Merci pour votre écoute et votre invitation à parler de ce recueil à l’approche de ces journées de commémoration et non de célébration (j’insiste sur le terme) du centenaire de la Grande Guerre.
Merci aussi à mes lecteurs qui m’encouragent à poursuivre le chemin de l’écriture.


Maryline Martin, Les Dames du chemin, éditions Glyphe, 12 €

www.editions-glyphe.com

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